L'Etabli - Robert Linhart
Les Editions de Minuit, Collection "double", 187 pages
Robert Linhart décrit son expérience d'"établi" à l'usine Citroën Choisy d'assemblage de 2CV. L'établissement est le mouvement d'immersion des intellectuels gauchistes dans le monde ouvrier dans le sillage de Mai 68.
J'attaque le livre un peu sceptique: Ces intellectuels qui s'encanaillent à l'usine ont peut-être une vue simpliste, idéalisée et pour tout dire infantilisante du prolétariat. Je crains aussi les discours-slogans dogmatiques ressassés, usés.
Dès les premières pages, on est rassuré: la démarche de Robert Linhart apparait sincère, lucide et, surtout, très humble. Aucun sentiment de supériorité ou d'arrogance de la part du Normalien. Du coup, un peu honteux, je réalise que les clichés et préjugés étaient surtout de mon côté.
Sans jamais succomber à la tentation de sa propre mise en scène, Robert Linhart décrit son expérience de l'univers de l'usine: la fraternité, les combats mais aussi les doutes, les échecs face à l'implacable répression de l'organisation (à plusieurs reprises un parallèle est fait avec le monde pénitentiaire). Les passages de doutes de l'auteur sont très touchants de sincérité.
La brutalité et le cynisme d'un système organisé autour du seul profit. Les humiliations et le chantage exercés sur des ouvriers intentionnellement fragilisés, en particulier la population immigrée. L'abrutissement engendré par le travail à la chaîne. Tout cela semble produire un certain fatalisme chez les ouvriers, de la résignation même.
Mais le renoncement n'est jamais complet et les hommes les plus écrasés conservent souvent une capacité de révolte en eux. Et c'est bien là, le message d'espoir du livre.
Tout le long de la description de sa courageuse expérience de la lutte et de la résistance, Robert Linhart s'attarde avec tendresse sur quelques personnages qui se sont engagés à ses côtés ou qu'il a tout simplement croisés: Georges, Stepan, Pavel, Christian, Primo, , Ali (dont le souvenir du grand chien noir donne une illustration nauséeuse de la colonisation), Mouloud, Sadok, Simon, Jojo...
Un rappel que la masse des ouvriers est constituée de destins individuels:
Les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence
A lire aussi: Florence Aubenas entreprend dans "Le quai de Ouistreham" (Editions de l'Olivier) en écho à "L'établi" une l'immersion-témoignage dans les classes laborieuses les plus dominées de France, quarante ans plus tard sur fond de crise.
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